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À qui appartiennent les richesses des fonds marins ?

Objet de toutes les convoitises, l'océan répond aà des réglementations quant à l'exploitation de ses ressources. Maître Virginie Tassin Campanella, avocate au bureau de Paris et spécialisée dans le droit de la mer, nous aide à y voir plus clair.

 

En novembre dernier, lors de la COP 27, le président de la République française Emmanuel Macron affirmait la volonté de la France d'interdire "toute exploitation des fonds marins". Si à terre, chaque État peut décider sur son territoire des ressources qu'il exploite et de quelle manière, les règles ne sont pas les mêmes dans l'océan.

 

Selon que l'on parle des fonds marins ou de la colonne d'eau et en fonction de la distance avec le littoral, les juridictions et les lois varient.

 

Il faut aussi "bien comprendre la différence entre l'exploitation et l'exploration", explique Virginie Tassin Campanella, avocate au bureau de Paris et spécialisée dans le droit de la mer. "L’exploration marine permet de déterminer quelles sont les ressources : c'est en évaluant qualitativement et quantitativement ces ressources que l'on peut décider ou non de leur exploitation."

 

Cette exploration est également "à distinguer de la recherche scientifique marine", poursuit l'avocate : "Elle est menée à des fins exclusivement pacifiques, elle ne constitue le fondement d'aucune revendication sur une partie du milieu marin et ses ressources.  Les programmes, objectifs et résultats de la recherche scientifique sont publics par défaut, tandis que dans le cas de l'exploration, les résultats sont confidentiels. S'ils peuvent dans certains cas être partagés, cela est une exception et non un principe."

 


Une réglementation des sols et sous-sols marins relativement récente

C'est après la Seconde Guerre Mondiale que la question de la propriété des richesses des fonds marins est posée. En 1945, devant l'énorme besoin en ressources nécessaires pour financer le développement économique, le président américain Harry Truman déclare des droits de juridiction et de contrôle sur les ressources naturelles du sol et du sous-sol au large des États-Unis.

 

À l'époque, il n'existe pas de loi pour sécuriser l'accès à ces ressources en mer et Truman entend bien revendiquer l'accès au pétrole sous-marin, l'une de ses principales motivations. Il est rapidement imité par divers États, principalement en Amérique du Sud.

 

Pour répondre à ces revendications, la Commission du Droit International (CDI) décide d’entreprendre des travaux sur la codification des droits. En 1958, après plusieurs années de travail, la convention de Genève définit le plateau continental :  constitué du lit de la mer et du sous-sol des régions sous-marines adjacentes aux côtes, il est situé en dehors de la mer territoriale et jusqu’à une profondeur de 200 mètres.

 

Mais les espaces revendiqués par les États dépassent les limites spatiales de la convention de Genève. Devant un nombre insuffisant de ratifications et avec la création de nouveaux États, elle est mise à mal.

 


Le plateau continental étendu, zone de 200 milles marins gérée par les États 

Il faudra attendre 1982, pour que la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) apporte une nouvelle définition du plateau continental. Basé non plus sur un critère de profondeur, la délimitation s'opère désormais grâce à une distance : les 200 milles marins (équivalents à 370km du littoral). Dans le cas où le plateau s'étend au-delà, ce sont des caractéristiques géologiques et géomorphologiques qui viennent déterminer la limite externe de ce plateau continental étendu, dénommée "le rebord externe de la marge continentale". Pour éviter différents conflits territoriaux, l'ONU a créé une instance pour examiner les demandes d’extension : la Commission des limites du plateau continental des Nations Unies.

 

Chaque État peut décider de l’exploration ou de l’exploitation sur son plateau continental et continental étendu, ainsi que de sa politique environnementale applicable à cet espace. Il doit cependant respecter des obligations générales de protection et de préservation du milieu marin. Ceci implique de prévenir, réduire et maîtriser toutes les formes de pollution provenant des installations ou engins utilisés pour l’exploration et l’exploitation sur le plateau continental, et donc de comprendre à la fois l’environnement marin et l’impact des activités sur ce milieu.

 

Mais bien que fixées par le droit international, les obligations de protection et de préservation sont à la charge de chaque État qui transpose ces directives à son rythme. Et beaucoup reste à faire. En Europe, le protocole dit "offshore" de la convention de Barcelone sur la protection de la mer Méditerranée contre la pollution issue de l'exploration et de l'exploitation du plateau continental, du fond de la mer et de son sous-sol n'a été que très peu ratifié. Sauf dans le cas de ressources stratégiques comme le gaz et le pétrole, l’Union Européenne et les États membres n'ont pas encore transposé ce protocole en droit.

Enfin, dans les cas où le droit international est transposé, il n'existe pas de contrôle international de mise en œuvre. Mais les États s'exposent à des poursuites judiciaires nationales, régionales (européennes, dans le cas de la France) ou internationales, où leur responsabilité peut être engagée.

 

Les fonds marins profonds, situés au-delà du plateau continental et du plateau continental étendu, appartiennent à « la Zone », qui comprend les fonds marins et leur sous-sol. Considérée comme appartenant au patrimoine commun de l’humanité, la Zone et ses ressources sont gérées par l’Autorité Internationale des Fonds Marins, basée à Kingston en Jamaïque, qui assure qu'aucun État ni aucune personne physique ou morale ne puisse s'approprier ces territoires et leurs richesses.



Des limites qui se superposent

En plus d’une régulation pour les activités sur les fonds marins, il existe un autre zonage pour les activités maritimes dans les colonnes d’eau. On y trouve la Zone Économique Exclusive (ZEE) qui est sous juridiction nationale et qui a été créée principalement pour répondre à des enjeux d’accès et de conservation des pêcheries. Viennent ensuite les eaux internationales régulées par le régime de la Haute Mer où un ensemble de liberté (navigation, recherche scientifique) coexiste avec d’autres devoirs (prêter assistance et secours aux personnes en péril, répression de la piraterie et du trafic de stupéfiants).

 

Mais la Haute Mer se superpose parfois avec le plateau continental. Dans ce cas, "les droits sur le plateau continental sont souverains mais limités" précise Virginie Tassin Campanella. "Cela veut dire que toutes les libertés de la Haute Mer peuvent s’exercer aussi sur le plateau continental. C’est un espace partagé. Les droits qui y ont été créés sont là pour donner une priorité à l’État pour l’exploration et l’exploitation. Mais l’État ne peut pas refuser à priori que l’on puisse poser des câbles et des pipelines."

 


Nécessaire actualisation des juridictions

L’articulation des différentes zones pose questions, lorsque par exemple un bateau se trouve en haute mer pour forer le plateau continental. Dans le cas de forage des fonds marins, les règles applicables en surface et dans la colonne d’eau (là où sont placés les navires et les pipelines pour extraire les ressources du plateau) sont différentes des règles applicables sur les fonds marins (là où l’extraction prend place). Ainsi, lorsqu’un navire, placé en haute mer (hors de la juridiction nationale) conduit des activités sur le plateau continental étendu (sous juridiction nationale), il doit se conformer à des règles différentes. Des problèmes de cohérence vis-à-vis de la protection de l’environnement marin se posent alors, car les critères relatifs aux études d’impact environnemental ou les mesures de protection de la biodiversité ne sont pas les mêmes dans la colonne d’eau et sur les fonds marins

 

Enfin, les limites déterminées ne sont pas toujours suffisantes. Virginie Tassin Campanella nous rappelle ainsi que "les aires marines protégées (AMP) ne couvrent pas nécessairement les fonds marins, comme c’est le cas par exemple de la réserve des terres australes françaises. Cela veut dire que des exploitations pourraient y être menées et qui pourraient poser des problèmes de cohérence avec les objectifs environnementaux déterminés dans ces zones protégées."


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