top of page

Entreprises et océan : quel lien?

Dernière mise à jour : 3 sept.

Face au dérèglement climatique et au déclin de la biodiversité, les entreprises doivent se transformer. Philippe Grandcolas, Directeur Adjoint Scientifique à l’Institut Écologie et Environnement (INEE) du CNRS, répond à nos questions.

 

 

Le monde prend conscience du dérèglement climatique. On parle de plus en plus de préserver la biodiversité. Est-ce que la prise de conscience du déclin de la biodiversité est au même niveau que celle du dérèglement climatique ?

 

La prise de conscience au sujet du dérèglement climatique semble globalement acquise bien qu’elle ne soit pas uniforme au sein de la société. Pour beaucoup de décideurs en tous cas, le lien entre gaz à effet de serre, dérèglement, aléas climatiques et conséquences économiques est devenu évident.

 

La notion de crise de biodiversité est moins présente dans les esprits. Elle évoque d’abord l’effondrement de quelques espèces charismatiques comme les grands mammifères africains, des forêts tropicales ou de quelques fonctions essentielles dans la nature comme la pollinisation.

 

Nous avons pourtant une empathie naturelle pour la biodiversité ; je connais peu de gens qui n'aient pas envie d'être dans un beau paysage avec une belle végétation, et de voir des beaux animaux. Mais nous n’avons pas forcément pour autant une perception de l'ensemble de la diversité du vivant de l’éléphant aux bactéries du sol et de son déclin catastrophique, avec les aléas correspondants : perturbations du cycle de l’eau, baisse de la fertilité des sols ou de la pollinisation, apparition de maladies infectieuses, etc. Cela dit, un certain nombre de causes de cet effondrement comme la dégradation des habitats ou les pollutions dues aux pesticides ou au plastique, deviennent quand même plus familières à tous.

 

Donc la bonne nouvelle, c’est notre empathie naturelle et notre acceptation du diagnostic scientifique de crise. La mauvaise nouvelle, c'est que la situation reste floue et complexe dans nos esprits, peut-être encore trop pour permettre des actions immédiates tous azimuts.

 

 

 

Pourquoi la biodiversité marine semble laissée de côté ?

 

C’est vrai, peu de gens sont vraiment pleinement conscients à propos du sujet de la protection de la biodiversité marine. On a tendance à considérer l’océan comme s’il était infini, du fait de son immensité. Ce qui fait que l’on ne s’est jamais vraiment soucié de le protéger : de fait, il a longtemps été considéré comme une gigantesque poubelle dans laquelle on peut jeter à peu près tout ce qu'on veut, et que ça se perde ou se dilue au point que cela devienne sans conséquences.

 

Aujourd'hui, on se rend enfin compte que l’on produit une quantité colossale de déchets et que cela commence à poser des problèmes gravissimes dans le milieu marin. L’exemple le plus connu étant les continents de plastique, avec la présence corollaire de microparticules de plastique absolument partout.

 

De manière analogue, on a aussi l’impression trompeuse que les ressources de l’océan sont démesurées et que l’on peut prélever sans limites. On prend conscience que c’est faux, avec la surpêche et les méthodes de pêche destructives, qui provoquent la destruction des stocks de poissons, ou encore avec l’exploitation minière des fonds marins.

 

Grâce à un certain nombre d'études scientifiques et d'actions militantes, nous sommes en train d’en prendre conscience. Cette acculturation reste néanmoins difficile à cause de nos biais cognitifs : on a du mal à le prendre en compte ce que l’on ne voit pas. On peut l’intellectualiser, on peut essayer de raisonner mais cela reste souvent trop abstrait. A cet égard, le fait de montrer des continents flottants de plastique sur les mers a permis de modifier la prise de conscience sur la pollution du plastique.

 

 

Quel lien entre le terrestre et le marin ?

 

Le plus évident c’est le littoral qui est l’interface entre la terre et la mer. Effectivement si on a des problèmes de pollutions et d’effluents industriels ou urbains qui se voient sur les plages ou le bord de mer, tout le monde comprend. Le lien est fait entre pollution des intrants dans les sols voisins du littoral et les plages recouvertes d’algues avec les « marées vertes ». Mais, à part pour cette problématique littorale, il reste de grandes difficultés de compréhension sur le fait que terrestre et marin sont liés à tous égards.

 

Pour la plupart des personnes, le niveau de familiarité avec le milieu marin est bien moindre qu’avec le milieu terrestre. Les marins, les professionnels de la mer, les plaisanciers, ceux qui vivent proches du littoral ont un niveau de conscience plus élevé. Pour les autres, l’océan reste distant et immense.

 

Il reste donc difficile d’appréhender l’ordre de magnitude des causes et des effets. Malgré cela, cela commence à être compris pour le plastique : c’est bien le plastique qui est jeté sur la terre, qui finit dans la mer. Malgré la vastitude et l’épaisseur de la colonne d’eau, notre production colossale de pollution et ses effets apparaissent dramatiques.

 

La prise en compte du danger du déclin de la biodiversité marine a débuté, mais elle est encore un retard par rapport au terrestre.

 

 

 

Biodiversité terrestre et marine, même combat ?
 

Il est vrai qu'à la COP 15, consacrée aux enjeux de biodiversité, il est assez désolant qu'on n'ait pas plus parlé de l’océan. Il y a malgré tout des avancées avec 30% des aires marines protégées considérées séparément des 30% des aires terrestres et d’autres mesures qui contribueront à la sauvegarde de la biodiversité marine (baisse de pollutions terrestres, etc.)  

 

On se rend compte dans les négociations que les États vont agir en fonction de leur situation propre. Par exemple un État qui a un littoral très réduit, ne va pas souhaiter être impacté par les 30% d’aires marines protégées, qui vont le contraindre à des mesures de protection sur une grande partie de son faible accès à la mer.

Si on fait allusion aux eaux internationales, les États qui ont des activités industrielles dans ces eaux vont tout faire pour éviter les régulations dans cet espace géographique.

 

Là encore, il y a du positif avec ces négociations en cours et futures qui permettent de parler de ces sujets importants, et du négatif avec la position des États qui ont des positions contraires ou divergentes en regard des sujets négociés. Cela dit, c’est le problème de tous les sujets d’environnement d'une manière générale, pas seulement celui des océans.

 

L’autre difficulté est qu’il y a une énorme diversité de situations culturelles et économiques dans le monde, avec notamment de nombreux pays en développement qui n’ont pas forcément les mêmes conceptions, les mêmes histoires ou les mêmes contraintes que nous autres, les « occidentaux ». Confronter ces situations est compliqué : même lorsque les intérêts ne sont pas contraires, les conceptions culturelles peuvent être assez différentes.

 

 

Les entreprises ont fait la transformation digitale, sont-elles prêtes pour une transformation environnementale ?

 

Du côté du monde des entreprises on rencontre pas mal de bonnes volontés et c'est quand même rassurant.  Les entrepreneurs sont connectés à la réalité. Ils prennent en compte les effets négatifs et les coûts. Ils doivent prendre les mesures nécessaires qui auront un impact positif et qui permettent à l’entreprise de rester viable.

 

De fait, certaines entreprises montrent souvent moins d’inertie que le reste de la société ou les gouvernements. Elles ont un pouvoir d’agir relativement rapidement pour une transformation environnementale. Les moyens d’agir sont cependant moins clairs dans les esprits. Il y a du retard dans la prise en compte de la biodiversité.

 

Il y a un gros besoin d'éveil, de sensibilisation pour faire comprendre qu'effectivement on a un lien fort avec l'océan et que ce n'est pas une ressource distante et infinie, même s’il est immense. Il faut prendre conscience que son déclin nous causera de graves torts assez directement, non seulement en ce qui concerne la question des stocks de pêche, mais aussi en regard de la vie sur les littoraux ou du dérèglement climatique.

 

Merci Philippe Grandcolas

 

Posts récents

Voir tout

Comments


Commenting has been turned off.
bottom of page